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dimanche 27 novembre 2011

Récit hassidique : il reste une trace

Tant que dans le monde, quelque part, il y aura un homme qui se souviendra qu'il y a eu un temps où raconter une histoire pouvait suffire à résoudre un problème, le monde pourra être sauvé.

Voici un récit hassidique :


        Lorsque le Rabbi Israël Baal Chem Tov voyait qu'un malheur se tramait contre le peuple juif, il avait pour habitude d'aller se recueillir à un certain endroit dans la forêt ; là, il allumait un feu, récitait une certaine prière et le miracle s'accomplissait, révoquant le malheur.
       Plus tard, lorsque son disciple, le Maguid de Mézeritch, devait intervenir auprès du ciel pour les mêmes raisons, il se rendait au même endroit dans la forêt et disait : « ~Maître de l'univers, prête l'oreille. je ne sais pas comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière. » Et le miracle s'accomplissait.


     

       Plus tard, le Rabbi Moché-Leib de Sassov allait lui aussi dans la forêt pour sauver son peuple et disait : « je ne sais pas comment allumer le feu, je ne connais pas la prière, mais je peux situer l'endroit et cela devrait suffire. » Et cela suffisait encore et le miracle s'accomplissait.
       Puis ce fut le tour de Rabbi Israël de Rizhin d'écarter la menace. Assis dans son fauteuil, il prenait sa tête entre les mains et parlait à Dieu: «Je suis incapable d'allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne peux même pas retrouver l'endroit dans la forêt. Tout ce que je sais faire, c'est raconter cette histoire. » Cela suffira-t-il ? Cela suffisait.
     Tout ce que nous savons aujourd'hui, c'est que nous ne savons même plus raconter l'histoire, et la seule chose que nous savons faire est le récit de cette impossibilité... Cela suffirait il encore ?

Faut-il écrire ou raconter une histoire ou suffit-il d'allumer un feu ? 



***
        
         Tracer sa route
         puis l'effacer
         Y aura-t-il quelqu'un pour la retrouver ?
         Quelqu'un dira :"Il a tracé sa route.", mais personne ne sait d'où elle partait
                                     ni où elle arrivait. On saura seulement qu'il y eut une route.




Inventer, écrire, graver...c'est comme taper du pied dans une flaque gelée




et laisser la fissure s'opérer dans la glace. Elle avance selon des lois physiques qui nous semblent aléatoires, comme "un coup de dés qui n'abolira jamais le hasard". Il faut laisser venir la trace. Elle n'est plus tournée vers le passé mais vers l'avenir ; elle est une tension." La trace est itinérante (itin-errante); elle se fraye un chemin qu'elle ne reconstitue qu'après coup, elle produit sa route avec retard." (Derrida)


"Personne n'a le pouvoir d'effacer toutes ses traces".On écrit, on grave, on peint, on fait comme la seiche de Michaux, "on se dérobe à rebours, on jette beaucoup d'encre pour se dissimuler."On biffe, on se rebiffe, on écrit de travers, comme la seiche qui se déplace et se camoufle , on jette son encre. On écrit, on jette sur la page tout ce qu'on a ramassé dans la nuit, une étoile vive, encore étonnée d'avoir quitté les eaux noires du ciel et les ombres errantes en grappes qui se détachent du pampre des souvenirs. Il suffit de chasser les ombres pour trouver la lumière.


   


"L'homme sans trace. Un homme qui n'a pas de trace, n'est sur aucune trace- et ainsi justement le voici peu à peu sur une trace." (La perte de l'image).
Peter Handke (Hier en chemin).

"Celui qui sait marcher (dans le Tao) ne laisse pas de traces." 
Lao Tseu (Tao Te King)


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